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ALBANIE, VOYAGE EN PETRONARCHIE

Ânes, faux et charrettes

 

La région est rurale. Les villageois vivent principalement d'une agriculture de subsistance. En quittant Fier, il faut rouler une dizaine de minutes sur une route nouvellement bétonnée pour atteindre Sheqishtë, le premier village. A un carrefour, on atteint quelques maisons, une petite brasserie et une station essence. Ironie du sort, le prix d'un litre de gazole est de 190 lek albanaise, soit 1,35 euro environ. Le pétrole n'est pas raffiné en Albanie, mais en Italie le plus souvent, puis il est revendu ici sans que les habitants puissent profiter d'un prix avantageux.


Beline est le second village en suivant la route. Des champs bordent le chemin. Les paysans travaillent encore à la faux. Un âne et une charrette les attendent pour transporter les herbes ainsi ramassées. Les plus riches d'entre eux se déplacent en tracteur. Au loin, les premières cuves noires de pétrole se détachent de l'horizon. Plus l'on s'approche de l'entrée du site, plus les odeurs de gaz et d'essence sont entêtantes.

 

Jogodinë, Marinez, Frashër, Verbas, Kallm, Kuman et Zharrës sont les sept autres villages. “Au départ, la population était contente de voir arriver l'entreprise canadienne. La région est pauvre et il n'y avait pas beaucoup de travail. Aujourd'hui, elle la voit comme un ennemi et réclame plus de réglementations de la part de l'Etat.” raconte l'ancien maire de Zharrës. Méfiant, l'homme finit par se détendre et déplore avec moins de retenue : “Ils utilisent des méthodes barbares pour augmenter le rendement. Mais ces techniques participent à la pollution de la région et au développement de cancers et autres maladies. Ils veulent extraire le plus vite possible le pétrole et quitter l'Albanie.” Le vieil homme a participé aux manifestations des mois précédents. Mais aujourd'hui, il est sans espoir. “Cela n'a rien changé. Les explosions ont un peu diminué mais nous n'avons rien obtenu d'autres. En Albanie, il est impossible d''avoir accès à des informations. Les chiffres de la pollution ne sont même pas rendus publics” s'attriste l'ancien élu.

 

1918: le premier puits

 

Les problèmes liés à l'exploitation du pétrole ne sont pas nés avec l'arrivée de l'entreprise canadienne. Le premier puits a été découvert à Drashovice en 1918 par l'Anglo-Persian Oil Company. La gestion est ensuite tombée dans le giron des italiens en 1930. La seconde guerre mondiale a détruit le site et l'extraction a repris en 1957 à Patos-Marinza. Sous le régime communiste, ce sont d'abord les Soviétiques, puis les Chinois qui en ont été les principaux investisseurs. En 1994, le gouvernement albanais créé l'Anglo-Alb Pétrol et les négociations commencent dix ans plus tard avec Bankers Petroleum. Avec ce long passé, facile pour les canadiens de se dédouaner des accusations de pollution: l'entreprise rejette la faute sur ses prédécesseurs et ne cesse de remplir ses rapports annuels de chiffres des investissements consentis pour le nettoyage des sols. Omer Dashi, responsable de la communication chez Bankers Petroleum, fait état de “légendes urbaines”: “Je suis trois fois par semaine à Fier et je n'ai jamais entendu parler ni de tremblements de terre ni d'odeurs d'essence”. Contacté par mail, les cadres de la multinational n'ont pas souhaité s'exprimer.

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