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ALBANIE, VOYAGE EN PETRONARCHIE

Le premier employeur de la région


Plus l'on s'approche du site, et plus les émanations d'essence prennent à la gorge. Les premières cuves de pétrole se trouvent directement dans les jardins et les champs des villageois. Les puits sont surveillés jour et nuit par les agents de sécurité qui parcourent le site à bord de leur grosse jeep blanche. L'exploitation est entièrement ouverte. Les routes qui relient les villages la traversent de part en part. Quelques travailleurs en habits rouges et casques jaunes s'activent autour des puits de forage. Un peu plus loin, un autre employé prend des mesures. Il vérifie le taux de soufre dans l'eau. “Il y a énormément de règles de sécurité à suivre quand on travaille ici” assure-t-il. Discours différent chez les habitants qui ne semblent justement pas avoir conscience des dangers. Nombreux sont les villageois qui travaillent comme technicien de contrôle pour Bankers Petroleum. Avec 500 emplois directs et 1700 indirects, l'entreprise peut se vanter d'être l'employeur le plus important de la région. Les villageois refusent la plupart du temps de s'exprimer sur le sujet. “Nous avons peur d'aller en prison” confie une villageoise sur le pas de sa porte. Dritan* est revenu de Grèce il y a trois ans et depuis, il a été embauché comme technicien. “Les habitants ont peur car ils ont besoin de la compagnie. Soit ils y travaillent, soit ils espèrent y être embauchés, soit ils louent leurs terrains” reconnait le jeune trentenaire.


Du pétrole dans les jardins


Derrière le mutisme apparent, les habitants sont désemparés. Ils craignent les représailles de la multinationale. “Nous ne pouvons pas nous battre contre plus fort que nous. Ce serait trop dangereux. Le gouvernement les soutient et nous n'avons aucune garantie pour entamer une action en justice contre eux. Il n'y a pas de justice indépendante en Albanie. ” confie Elena* une militante associative à Fier.


Et pourtant, les dégâts sont visibles à l’œil nu. Les routes sont crevassées à cause des poids-lourds. Les anciens matériels de l'époque communiste n'en finissent plus de rouiller à côté des nouvelles installations. L'entreprise s'était pourtant engagée à retirer du site le matériel ancien. Les travaux de démantèlement n'ont toujours pas commencé. En plus du matériel en ruine, des nappes de pétrole brut stagnent dans les champs et les jardins. “Les villageois ne se rendent pas compte des conséquences de cette pollution au quotidien” assène Navila*, une scientifique de la région. “La situation est catastrophique, tout ce qu'ils produisent, mangent, boivent est contaminé.” La chercheuse a réalisé une étude sur la pollution dans la région il y a trois ans. Par peur des représailles, elle n'a jamais publié son contenu. Et pourtant, elle s'insurge: “le taux de cancers est beaucoup plus élevé qu'ailleurs. Vous n'avez qu'à aller dans un centre de soin à Fier, vous pourrez vérifier ce que je vous dit.”


A Shëqishtë, un des autres villages, Anila partage une petite maison avec Geri, son frère et ses parents. Ils vivent modestement. Il y a deux ans, les médecins ont découvert que Geri était atteint d'une maladie génétique qui avait atrophié 70% de son poumon droit. “Jouer au foot ou courir avec mes amis est devenu compliqué car je m’essouffle très vite” se plaint le jeune garçon. Les médecins ont conseillé à ses parents de quitter la région. Malheureusement, comme beaucoup d'autres, sa famille n'a pas les moyens de partir. Dans la pièce d'à côté, Anila regarde les fissures sur les murs de sa chambre. Elle raconte, qu'hier encore une explosion a eu lieu. Elle frissonne. “C'était durant la nuit et le plafond a bougé. Cela fait très peur. Les explosions ont toujours lieu la nuit, et je me réveille tous les matins avec des migraines dues aux odeurs d'essence.”

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